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Pierre Jacquemin : Directeur général de Notre-Dame du Grandchamp
Publié le 4 janvier 2021
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Mis à jour le 2 février 2022
Date(s)
le 4 janvier 2021
Nous avons eu l’honneur de partager une Conversation avec Pierre Jacquemin, directeur général de Notre-Dame du Grandchamp. Nommé à ce poste en septembre 2018 par Monseigneur Aumonier et Olivier Roucher (ancien directeur diocésain). Pour nous, Pierre Jacquemin évoque le cœur même de Notre-Dame du Grandchamp ; ses élèves et ses équipes. Management, raison d’être, valeurs, projets de l’établissement mais aussi défis à relever par le monde de l’éducation face à la crise Covid. Il délivre un message tout particulier aux jeunes à l’aube de cette année 2021.
Comment décririez-vous Notre-Dame du Grandchamp, ses équipes, ses élèves ?
P. Jacquemin : C’est un établissement à fort caractère familial, c’est-à-dire avec un fonctionnement qui n’est ni froid ni trop hiérarchique. Ce que j’apprécie beaucoup, ce sont la délégation et la subsidiarité. C’est une manière de fonctionner qui me convient bien. J’aime travailler dans la confiance, et l’ensemble des salariés a une responsabilité de délégation chacun à son niveau.
Un autre aspect important, c’est la quantité de travail et d’énergie qui est fournie par les équipes. On a l’impression que cela tourne tout seul mais c'est au prix d'un très gros travail très efficace. C’est un établissement de bosseurs.
Nous avons la chance d’avoir un public de jeunes très varié. Ils ont leurs qualités propres, mais j’ai cette impression qu’on a des jeunes toujours partants, nous avons peu de difficultés à les mobiliser sur des projets, sur des engagements, sur des activités. Je trouve aussi beaucoup de générosité chez eux et aussi beaucoup d’ambition.
Je pense que la manière dont les adultes montrent l’exemple dans le travail, la prise d’initiative, la créativité, la rigueur, l’envie de faire les choses ensemble, de collaborer… cela transpire chez les jeunes. Nous faisons en sorte, quelle que soit leur formation, qu’ils soient poussés vers l’excellence, c’est-à-dire vers l’optimisation de leur capital de départ et en même temps, nous les formons à être excellents dans le service.
Ce qui doit distinguer un salarié de Grandchamp, un professeur de Grandchamp, un élève de Grandchamp, c’est qu’il soit excellent dans le service. Si nous y parvenons, nous n’aurons pas manqué notre mission.
Selon vous, quelles sont les qualités requises pour faire un bon candidat à Notre-Dame du Grandchamp ?
P. Jacquemin : En premier lieu, ne pas avoir les mêmes qualités que les autres ! J’aime beaucoup la diversité des profils et des parcours. Bien sûr, dans une convergence de vue. Pour moi, il n’y a rien de pire qu’un établissement où tout le monde se ressemble.
Pour ma part, je suis profondément catholique, pratiquant naturellement, mais je trouverais dommage de n’embaucher que des catholiques pratiquants et de n’avoir comme élèves que des catholiques pratiquants. Le monde n’est pas comme ça. La vie n’est pas comme ça. L’entreprise n’est pas comme ça.
Deuxièmement : il faut aimer travailler. Aimer le travail bien fait. Pas le travail à moitié fait, ni le travail pas fait, ça c’est important. Parce que sinon, on se retrouve très à l’écart des autres.
Je pense aussi, qu’il faut aimer les autres. Ce qui ne veut pas dire tout tolérer, ni tout supporter. Mais je pense qu’il faut, aussi bien pour être élève ou professeur, cadre ou salarié, ici, aimer les gens. Parce que c’est en aimant les gens qu’on s’enrichit personnellement.
Et quatrièmement, c'est le plus important : adhérer vraiment au projet éducatif. C’est le plus compliqué à évaluer chez un candidat. Le jour où, dans le recrutement, je réussirai à être certain à 100% de l’adhésion au projet éducatif, d’un candidat qu’il soit adulte ou qu’il soit élève, je serai un grand homme ! Malheureusement, j’ai peu de perspectives de le devenir, car le recrutement est une science complexe. J’insiste vraiment sur la nécessité d’adhérer au projet éducatif parce que, lorsque l’on a une difficulté avec un élèves, avec une famille, avec un salarié, avec un professeur, c'est toujours la cause principale.
Crise sanitaire, confinement, l’école a été beaucoup secouée ces derniers mois. A travers l’exemple de notre établissement, comment cette situation peut marquer positivement le monde de l’éducation ?
P. Jacquemin : D’abord, le confinement et ses suites ont tout de même prouvé que lorsqu'on laisse l’échelon local s’organiser directement, bien évidemment, avec un cadre général, cela fonctionne très bien, on peut être très réactif, très rapidement. Pendant le confinement, il a fallu prendre des décisions graves, structurantes, qui engageaient la vie de beaucoup de gens, ainsi que leur fonctionnement. J’ai vraiment apprécié la liberté du Chef d’établissement du privé.
Deuxièmement, nous avons réalisé des pas de géant dans la communication interne et dans les usages numériques. Finalement, nous n’avons pas eu le choix. Notre intranet est né pendant le confinement, nous avons fait en trois mois ce qu’on aurait peut-être pu réaliser en trois ans. Il en va de même pour les usages numériques.
Troisième effet bénéfique, on a vu les bienfaits et les limites de l’enseignement à distance. L’enseignement à distance commençait à devenir le Graal, le modèle à suivre de l’enseignement supérieur. Il y a eu beaucoup de désenchantement, parce que cela a permis de redécouvrir le besoin de travailler en groupe d’avoir la présence physique de son professeur et de ses camarades. Et on a redécouvert aussi que l’autorité, pas seulement hiérarchique, mais aussi pédagogique, c’est aussi la présence.
2021 s’offre à nous, quels sont les projets et les défis à relever pour l’établissement ?
P. Jacquemin : Ce qui est le plus complexe dans ma tache actuelle, c’est de pouvoir donner un cap, un horizon, un espoir, quand on ne peut strictement rien prévoir à cause de l’épidémie et à cause du financement de l'apprentissage dont les rentrées financières sont capricieuses.
Nous avons des projets immobiliers, avec le projet du gymnase et du bâtiment CDI qu’il faut moderniser. Des projets liés à la diversification des financements, qui sont les corollaires de ces projets immobiliers. Nous avons des projets numériques, puisque nous réfléchissons au schéma directeur informatique des quatre ou cinq prochaines années. Nous devons toujours rester en alerte sur la flexibilité de nos formations, en particulier nos formations professionnelles, pour voir si on colle toujours bien au marché du travail. C’est un projet permanent.
Nous travaillons aussi au projet de centre de formation continue diocésain, pour la formation des adultes et voir comment mettre les forces de l’établissement, en particulier nos ressources humaines au service de ce projet.
Un nouvel évêque va nous être donné dans quelques semaines ou quelques mois, le projet sera aussi d’accompagner son élan pastoral. L’impulsion que donne un évêque est déterminante, nous devons marcher à côté de lui, avec lui pour toujours mieux annoncer et redécouvrir les contenus de la foi chrétienne.
Enfin, nous travaillons à conserver et même à raffermir le niveau d’exigence dans l’excellence de toutes nos formations. Ce qui est très différent de l’élitisme ! L’élitisme, seuls certains y ont droit, l’excellence, tout le monde y a droit, et tout le monde y est appelé.
Quel(s) message(s) souhaitez-vous faire passer en faveur des jeunes ?
P. Jacquemin : Le premier message que j’ai envie de transmettre aux jeunes c’est d'apprendre à relativiser. 2020 n’est pas la pire année du siècle. Quand on regarde les générations précédentes qui ont connu les deux guerres mondiales, ou la guerre d’Algérie. Quand on regarde les jeunes des pays en crise politique, en crise économique, on n’a malgré tout pas lieu de se plaindre. L’Etat a quand même fait face largement pour la sécurité de la population. Nous devons également relativiser la mort, elle fait partie de notre vie.
Le deuxième message c’est : soyez adaptables. C’est une qualité qui a toujours été nécessaire, mais qui l’est de plus en plus. Aujourd’hui, il faut être de plus en plus adaptable, avec les nouvelles manières de vivre, de communiquer, de travailler. Pour que les jeunes puissent systématiquement anticiper et ne jamais subir.
Le troisième message c’est : soyez disciplinés. La discipline individuelle et la discipline collective ne sont pas castratrices. Cela ne veut pas dire la soumission à l’Etat, à la privation de liberté, ça n’est pas ce que je veux dire. On a bien fonctionné, parce que nous avons tous été disciplinés. Individuellement et collectivement. Et s’astreindre une discipline, accepter par consensus une discipline collective, non contrainte, c’est très important.
Quatrième message : croyez en la capacité de régénérescence.
A 17 ans, je suis allé à Auschwitz. Dans ce lieu de désolation, il y a un musée, qui est un des musées les plus tristes au monde. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Dans la dernière salle du musée, est exposé un Livre d'or. Il était ouvert à la page de la visite du Général de Gaulle en 1967, et on pouvait y lire : « Quel dégoût ! Quelle tristesse ! Quelle pitié ! Et, malgré tout, quelle espérance humaine ! ». Quand on voit, après l’horreur absolue, comment les peuples se sont réconciliés, comment on a fait tout un travail de mémoire, de pénitence, de redressement économique, un travail moral, éthique, en si peu de temps finalement. Comment ne pas croire, même pour notre économie qui va être ravagée, comment ne pas croire à notre capacité de régénérescence ?
P. Jacquemin : C’est un établissement à fort caractère familial, c’est-à-dire avec un fonctionnement qui n’est ni froid ni trop hiérarchique. Ce que j’apprécie beaucoup, ce sont la délégation et la subsidiarité. C’est une manière de fonctionner qui me convient bien. J’aime travailler dans la confiance, et l’ensemble des salariés a une responsabilité de délégation chacun à son niveau.
Un autre aspect important, c’est la quantité de travail et d’énergie qui est fournie par les équipes. On a l’impression que cela tourne tout seul mais c'est au prix d'un très gros travail très efficace. C’est un établissement de bosseurs.
Nous avons la chance d’avoir un public de jeunes très varié. Ils ont leurs qualités propres, mais j’ai cette impression qu’on a des jeunes toujours partants, nous avons peu de difficultés à les mobiliser sur des projets, sur des engagements, sur des activités. Je trouve aussi beaucoup de générosité chez eux et aussi beaucoup d’ambition.
Je pense que la manière dont les adultes montrent l’exemple dans le travail, la prise d’initiative, la créativité, la rigueur, l’envie de faire les choses ensemble, de collaborer… cela transpire chez les jeunes. Nous faisons en sorte, quelle que soit leur formation, qu’ils soient poussés vers l’excellence, c’est-à-dire vers l’optimisation de leur capital de départ et en même temps, nous les formons à être excellents dans le service.
Ce qui doit distinguer un salarié de Grandchamp, un professeur de Grandchamp, un élève de Grandchamp, c’est qu’il soit excellent dans le service. Si nous y parvenons, nous n’aurons pas manqué notre mission.
Selon vous, quelles sont les qualités requises pour faire un bon candidat à Notre-Dame du Grandchamp ?
P. Jacquemin : En premier lieu, ne pas avoir les mêmes qualités que les autres ! J’aime beaucoup la diversité des profils et des parcours. Bien sûr, dans une convergence de vue. Pour moi, il n’y a rien de pire qu’un établissement où tout le monde se ressemble.
Pour ma part, je suis profondément catholique, pratiquant naturellement, mais je trouverais dommage de n’embaucher que des catholiques pratiquants et de n’avoir comme élèves que des catholiques pratiquants. Le monde n’est pas comme ça. La vie n’est pas comme ça. L’entreprise n’est pas comme ça.
Deuxièmement : il faut aimer travailler. Aimer le travail bien fait. Pas le travail à moitié fait, ni le travail pas fait, ça c’est important. Parce que sinon, on se retrouve très à l’écart des autres.
Je pense aussi, qu’il faut aimer les autres. Ce qui ne veut pas dire tout tolérer, ni tout supporter. Mais je pense qu’il faut, aussi bien pour être élève ou professeur, cadre ou salarié, ici, aimer les gens. Parce que c’est en aimant les gens qu’on s’enrichit personnellement.
Et quatrièmement, c'est le plus important : adhérer vraiment au projet éducatif. C’est le plus compliqué à évaluer chez un candidat. Le jour où, dans le recrutement, je réussirai à être certain à 100% de l’adhésion au projet éducatif, d’un candidat qu’il soit adulte ou qu’il soit élève, je serai un grand homme ! Malheureusement, j’ai peu de perspectives de le devenir, car le recrutement est une science complexe. J’insiste vraiment sur la nécessité d’adhérer au projet éducatif parce que, lorsque l’on a une difficulté avec un élèves, avec une famille, avec un salarié, avec un professeur, c'est toujours la cause principale.
Crise sanitaire, confinement, l’école a été beaucoup secouée ces derniers mois. A travers l’exemple de notre établissement, comment cette situation peut marquer positivement le monde de l’éducation ?
P. Jacquemin : D’abord, le confinement et ses suites ont tout de même prouvé que lorsqu'on laisse l’échelon local s’organiser directement, bien évidemment, avec un cadre général, cela fonctionne très bien, on peut être très réactif, très rapidement. Pendant le confinement, il a fallu prendre des décisions graves, structurantes, qui engageaient la vie de beaucoup de gens, ainsi que leur fonctionnement. J’ai vraiment apprécié la liberté du Chef d’établissement du privé.
Deuxièmement, nous avons réalisé des pas de géant dans la communication interne et dans les usages numériques. Finalement, nous n’avons pas eu le choix. Notre intranet est né pendant le confinement, nous avons fait en trois mois ce qu’on aurait peut-être pu réaliser en trois ans. Il en va de même pour les usages numériques.
Troisième effet bénéfique, on a vu les bienfaits et les limites de l’enseignement à distance. L’enseignement à distance commençait à devenir le Graal, le modèle à suivre de l’enseignement supérieur. Il y a eu beaucoup de désenchantement, parce que cela a permis de redécouvrir le besoin de travailler en groupe d’avoir la présence physique de son professeur et de ses camarades. Et on a redécouvert aussi que l’autorité, pas seulement hiérarchique, mais aussi pédagogique, c’est aussi la présence.
2021 s’offre à nous, quels sont les projets et les défis à relever pour l’établissement ?
P. Jacquemin : Ce qui est le plus complexe dans ma tache actuelle, c’est de pouvoir donner un cap, un horizon, un espoir, quand on ne peut strictement rien prévoir à cause de l’épidémie et à cause du financement de l'apprentissage dont les rentrées financières sont capricieuses.
Nous avons des projets immobiliers, avec le projet du gymnase et du bâtiment CDI qu’il faut moderniser. Des projets liés à la diversification des financements, qui sont les corollaires de ces projets immobiliers. Nous avons des projets numériques, puisque nous réfléchissons au schéma directeur informatique des quatre ou cinq prochaines années. Nous devons toujours rester en alerte sur la flexibilité de nos formations, en particulier nos formations professionnelles, pour voir si on colle toujours bien au marché du travail. C’est un projet permanent.
Nous travaillons aussi au projet de centre de formation continue diocésain, pour la formation des adultes et voir comment mettre les forces de l’établissement, en particulier nos ressources humaines au service de ce projet.
Un nouvel évêque va nous être donné dans quelques semaines ou quelques mois, le projet sera aussi d’accompagner son élan pastoral. L’impulsion que donne un évêque est déterminante, nous devons marcher à côté de lui, avec lui pour toujours mieux annoncer et redécouvrir les contenus de la foi chrétienne.
Enfin, nous travaillons à conserver et même à raffermir le niveau d’exigence dans l’excellence de toutes nos formations. Ce qui est très différent de l’élitisme ! L’élitisme, seuls certains y ont droit, l’excellence, tout le monde y a droit, et tout le monde y est appelé.
Quel(s) message(s) souhaitez-vous faire passer en faveur des jeunes ?
P. Jacquemin : Le premier message que j’ai envie de transmettre aux jeunes c’est d'apprendre à relativiser. 2020 n’est pas la pire année du siècle. Quand on regarde les générations précédentes qui ont connu les deux guerres mondiales, ou la guerre d’Algérie. Quand on regarde les jeunes des pays en crise politique, en crise économique, on n’a malgré tout pas lieu de se plaindre. L’Etat a quand même fait face largement pour la sécurité de la population. Nous devons également relativiser la mort, elle fait partie de notre vie.
Le deuxième message c’est : soyez adaptables. C’est une qualité qui a toujours été nécessaire, mais qui l’est de plus en plus. Aujourd’hui, il faut être de plus en plus adaptable, avec les nouvelles manières de vivre, de communiquer, de travailler. Pour que les jeunes puissent systématiquement anticiper et ne jamais subir.
Le troisième message c’est : soyez disciplinés. La discipline individuelle et la discipline collective ne sont pas castratrices. Cela ne veut pas dire la soumission à l’Etat, à la privation de liberté, ça n’est pas ce que je veux dire. On a bien fonctionné, parce que nous avons tous été disciplinés. Individuellement et collectivement. Et s’astreindre une discipline, accepter par consensus une discipline collective, non contrainte, c’est très important.
Quatrième message : croyez en la capacité de régénérescence.
A 17 ans, je suis allé à Auschwitz. Dans ce lieu de désolation, il y a un musée, qui est un des musées les plus tristes au monde. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Dans la dernière salle du musée, est exposé un Livre d'or. Il était ouvert à la page de la visite du Général de Gaulle en 1967, et on pouvait y lire : « Quel dégoût ! Quelle tristesse ! Quelle pitié ! Et, malgré tout, quelle espérance humaine ! ». Quand on voit, après l’horreur absolue, comment les peuples se sont réconciliés, comment on a fait tout un travail de mémoire, de pénitence, de redressement économique, un travail moral, éthique, en si peu de temps finalement. Comment ne pas croire, même pour notre économie qui va être ravagée, comment ne pas croire à notre capacité de régénérescence ?
Julie Axisa - Propos recueillis par Karim Hadadi le 18/12/20